1987 : Ammassalik 20 ans après

Une nouvelle mission d’hiver, 20 ans après mon premier séjour à Ammassalik. 20 ans, pour une population comme celle-ci c’est une génération. La population est très jeune et se renouvelle très vite. Mon séjour s’est surtout déroulé dans la petite capitale Tasiilaq. En fait, à la fois involontairement et intentionnellement, car les déplacements en hiver sont difficiles : ils se font en traîneau à chien, ou alors en hélicoptère, ce qui est rare et très onéreux. J’ai donc profité de cette période pour aller questionner les personnes âgées qui se trouvaient essentiellement dans la maison de retraite. Je les connaissais bien car il s’agissait de mes anciens informateurs. J’ai pu recueillir leur savoir, notamment sur un sujet d’étude que je développais à cette époque : le passage d’une population nomade ou semi-nomade – qui changeait de lieu d’hivernage tous les hivers ou tous les 2 ou 3 ans – à une sédentarisation dans des agglomérations. J’ai pu retracer leurs histoires de vies : leur enfance, comment se sont passées leurs premières années dans des lieux différents ; quelles étaient les raisons qui gouvernaient les choix d’habitat ; quels étaient les trajets les plus fréquents, les lieux les plus fréquentés… En définitive, comment se répartissait la population d’Ammassalik au sein de son territoire.

Je travaillais à l’époque au Musée de l’Homme avec un chercheur islandais, Magnus Magnusson, psychologue du comportement, qui avait développé une technique informatisée de localisation des individus dans l’espace. Grâce à toutes les informations recueillies et aux documents d’archives dont je disposais, cela nous a permis d’établir une cartographie de cette population. Et d’en voir les raisons sociales et culturelles.

Par ailleurs, j’observais la poursuite de l’embourgeoisement ; des classes sociales étaient en train d’apparaître. Les intérieurs s’étaient aménagés à la danoise, avec du mobilier, des objets, et même des éléments locaux comme des modèles réduits de kayaks, de harpons, comme faisaient les Danois qui habitaient sur place. Le fossé continuait de se creuser entre les salariés les mieux payés et ceux qui vivaient essentiellement de la chasse.

Durant mon séjour ont eu lieu les fêtes de Pâques. Elles consistaient en un office religieux, des invitations et des visites toute la journée chez les uns et les autres. Il s’agit d’une population pour laquelle le contact social est essentiel. Dès lors, les visites sont une pratique quotidienne et davantage encore pendant les jours de fêtes.

Au cours des festivités s’organisèrent aussi des courses de traîneaux à chiens, avec séparément, les femmes, les enfants, et pour finir les hommes. Et puis, le premier mai, eut lieu un événement assez surréaliste pour moi : le défilé des travailleurs syndiqués dans les rues de Tasiilaq, avec des pancartes, un camion sur lequel jouait un orchestre de jazz, des banderoles de revendications… Tout cela était évidemment très bon enfant. Et très calqué sur l’Occident.

Enfin, la télévision était devenue omniprésente, on la trouvait dans tous les domiciles, et surtout, elle marchait nuit et jour. Le téléphone de même s’était largement développé en ville.

Localités visitées pendant la mission :

  • Ammassalik (ou Angmagssalik) et Itimiin, aujourd’hui Tasiilaq, municipalité de Sermersooq
  • Kap Dan (ou Kulusuk), aujourd’hui Kulusuk

Localisation

Ammassalik, Sermersooq, Groenland

Joëlle Robert-Lamblin

Joëlle Robert-Lamblin

Joëlle Robert-Lamblin, anthropologue, Docteur d'Etat ès Lettres et Directeur de recherche honoraire au CNRS, a fait ses études à Paris dans les domaines de la sociologie et du droit. Au début des années soixante, de l'enseignement de l’ethnologie dispensé au Musée de l'...

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Observatoire Photographique des Pôles

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