2004, chez les Evènes du Kamtchatka central

Cette mission au Kamtchatka a constitué de fait ma dernière expérience de terrain en Sibérie. Après notre expédition de l’année 2000 chez les éleveurs de rennes évènes de la Moyenne Kolyma, une enclave évène en territoire yakoute, j’ai souhaité approfondir ma connaissance de cette culture dans une autre région sibérienne où l’ethnie évène constituait également une enclave au milieu d’autres minorités autochtones (itelmène, koriake, tchouktche). Il s’agit de la région de Bystrinski, au centre du Kamtchatka, en Extrême-Orient russe. J’étais accompagnée de Christian Malet médecin-anthropologue, Sakayana Evseieva de l’université de Yakoutsk, qui me servait d’interprète, et Viktoria Petrasheva, chercheur itelmène de Petropavlovsk-Kamtchatski, qui a facilité notre introduction tant auprès des instances publiques que de la population locale.

La péninsule du Kamtchatka, magnifique avec sa chaîne de volcans impressionnants et majestueux, aux cônes enneigés, attire maintenant de nombreux touristes. Cependant, après avoir été totalement interdite aux étrangers, jusqu’en 1990, elle demeure très secrète et quasi fermée aux enquêtes scientifiques.

Notre séjour dans la région de Bystrinski a comporté trois étapes. Une dans la petite ville administrative d’Esso, une dans le village national évène d’Anavgaï, et une dans un campement d’éleveurs de rennes nomades. Inutile de préciser que les moyens de transport étaient aussi rares que périlleux : autocar, camion, ambulance, hélicoptère! Mon travail portait sur l’observation des modes de vie et le recueil de témoignages et d’informations sur le passé récent de ces populations, depuis la politique de sédentarisation forcée des années 1960 jusqu’à nos jours. Parmi les moments les plus forts de notre séjour, je mentionnerai notre présence auprès du brigadier Kiriak Adoukanov et sa femme Louba au campement de Khaïriouzovo, au pied du volcan Itchinski. Là, nous avons assisté à la «corralisation» du troupeau, au cours de laquelle les rennes sont amenés dans les diverses enceintes du corral, puis comptés, vaccinés et triés pour l’abattage ou relâchés. Une scène exceptionnelle, jamais vue ici par des étrangers nous a-t-on précisé.

Autre moment fort : la visite de Bystria, un village brutalement et tragiquement fermé en 1974, où il ne reste plus qu’un seul habitant, un vieux Russe, Sovolod Ivanov. Chaque année, les anciens habitants se rendent en pèlerinage au cimetière du village abandonné pour se recueillir sur la tombe de leurs parents et partager avec leurs morts un repas commémoratif. Nous étions invités à nous joindre à cette visite très émouvante. En route, les femmes s’adonnent activement à la cueillette des baies, abondantes à cette période de l’année.

Sur fond de réouverture des mines d’or et de cuivre sur le chemin de transhumance des rennes, les difficultés en tous genres et le désintérêt de la part des jeunes gens pour cette activité et pour la rude vie de la toundra, font peser de grandes inquiétudes sur l’avenir de l’élevage des rennes dans cette région.

Localités visitées pendant la mission :

  • Moscou
  • Petropavlovsk-Kamtchatski
  • Esso
  • Campement des éleveurs de rennes évènes de Khaïriouzovo
  • Bystria (village fermé)
  • Anavgaï (village national)

Localisation

Petropavlovsk-Kamtchatski, Kraï du Kamtchatka, Russie

Joëlle Robert-Lamblin

Joëlle Robert-Lamblin

Joëlle Robert-Lamblin, anthropologue, Docteur d'Etat ès Lettres et Directeur de recherche honoraire au CNRS, a fait ses études à Paris dans les domaines de la sociologie et du droit. Au début des années soixante, de l'enseignement de l’ethnologie dispensé au Musée de l'...

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Observatoire Photographique des Pôles

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