Ammassalik 1979

1979 est une date importante pour le Groenland. Le premier mai, le Danemark lui a en effet reconnu le statut d’autonomie interne.

Lors de ma mission cette année-là, j’ai continué à observer, noter, questionner et visiter le plus grand nombre de lieux possibles. Je me suis également appuyée sur des documents administratifs danois : par exemple les registres des décès et des naissances. Ils ont fourni un socle solide à mes analyses sur l’évolution démographique et socio-économique de cette population.

Un travail sur les archives des services hospitaliers m’a permis d’accéder à des données sur les maladies prédominantes, les causes de mort, etc : des indicateurs de la santé physique et sociale d’une société. J’ai pu compléter par exemple mes données de terrain sur le nombre important des cas de suicides, par des informations sur l’âge et le contexte familial.

En ce qui concerne les données économiques, pour qu’elles soient valables, il faut pouvoir s’appuyer sur le long terme. C’est pourquoi les statistiques officielles sur la chasse m’ont beaucoup servi. En les analysant par chasseur, par village et par saison, j’ai pu accéder à des précisions sur la pérennité de cette activité.

Pour les observations directes sur le terrain, c’était une période estivale. La chasse au phoque sur la banquise dérivante était très active. Le plus présent à cette période est le phoque à capuchon (niniarteq). C’est à ce moment que la population a la possibilité d’engranger des réserves pour le reste de l’année : partout de la viande était pendue sur les séchoirs près des maisons. Le poisson de même était mis à sécher : l’omble chevalier, très prisé, et la morue qui permet de compenser lors des périodes de mauvaise chasse. La graisse de phoque aussi est mise en réserve dans des outres en cuir de phoque. Elle se transformera en huile et accompagnera les mets, notamment séchés, que l’on consommera au cours de l’hiver.

Pendant ce séjour, j’ai encore assisté au départ de quelques familles en migration lointaine. A l’époque, presque chaque année, des volontaires partaient pendant près d’un an se consacrer entièrement à la chasse. Cette année-là, la migration eut lieu vers Umivik, au sud de la région. Le départ des familles est très instructif, j’ai notamment été impressionnée par les quantités de sucre et de farine emportées, deux éléments devenus indispensables dans leur alimentation.

Et pour les familles qui revenaient de migration, il était intéressant d’évaluer la quantité de viande de phoque rapportée. Une partie était affectée à la consommation immédiate, bien sûr, une autre constituait des réserves. Les peaux préparées par les femmes étaient destinées à la vente. Grâce à cela, les familles pouvaient rembourser l’emprunt contracté pour la migration. Emprunt établi non pas pour le transport, financé par le gouvernement danois, mais pour les denrées achetées, comme justement le sucre et la farine, mais aussi les balles de fusils, le fuel, etc.

Dernier volet de mon étude : l’enquête généalogique. Depuis sa découverte en 1884, il y avait eu très régulièrement des recensements nominatifs de la population. D’abord effectués par Holm, le premier découvreur de la population, poursuivis par les pasteurs puis par les services administratifs. Dans les années 1930, Robert Gessain et Paul-Emile Victor avaient commencé ce travail. Je l’ai poursuivi jusqu’en 1990 en m’efforçant de suivre un par un tous les liens familiaux de ces familles. Soit 10.000 fiches au bilan !

Localités visitées pendant la mission :

  • Ammassalik (ou Angmagssalik) et Itimiin, aujourd’hui Tasiilaq, municipalité de Sermersooq
  • Manginertserpik (ou Mannginnerseerpik), campement sur l’ile d’Ammassalik, et Qingaïwa
  • Kap Dan (ou Kulusuk), aujourd’hui Kulusuk
  • Kumiut (ou Kuummiut), aujourd’hui Kuummiit
  • Sermiligak, aujourd’hui Sermiligaaq
  • Tiderida (ou Tileqilaq ou Tiniteqilaq), aujourd’hui Tiilerilaaq
  • Isertok (ou Isortok), aujourd’hui Isertoq
  • Ikatek (ou Ikateq), Ikkatteq, village abandonné
  • Tasidarteq (ou Tasiilarteq), dans le fjord d’Ammassalik, campement d’été

Localisation

Ammassalik, Sermersooq, Groenland

Joëlle Robert-Lamblin

Joëlle Robert-Lamblin

Joëlle Robert-Lamblin, anthropologue, Docteur d'Etat ès Lettres et Directeur de recherche honoraire au CNRS, a fait ses études à Paris dans les domaines de la sociologie et du droit. Au début des années soixante, de l'enseignement de l’ethnologie dispensé au Musée de l'...

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Observatoire Photographique des Pôles

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