Scoresbysund 1990 : 20 ans après
M’étant principalement consacrée à la population d’Ammassalik, je n’étais pas revenue depuis 20 ans au Scoresbysund, appelé désormais Ittoqqortoormiit. En apparence les changements semblaient mineurs dans cette communauté encore très isolée et très difficile d’accès. Ni voiture, ni camion, les traîneaux à chiens étaient omniprésents dix mois par an, avec de grands et magnifiques attelages, car la chasse était toujours l’activité prédominante : le phoque chassé au filet sous la glace, puis lorsque la banquise se fragmente, à l’aide de petites barques fabriquées d’une façon très originale ; l’ours blanc et le morse sont aussi très fréquents dans cette région. En revanche, le kayak avait presque totalement disparu remplacé par le canot à moteur. Et dans les intérieurs des maisons de la petite ville, rassemblant désormais la grande majorité de la population, télévision, vidéo, chaînes hifi, congélateurs, avaient fait leur apparition.
Parmi les quelque 400 Groenlandais que j’avais recensés 20 ans auparavant, seulement 58% étaient encore présents. 15% avaient émigré. 27% étaient décédés de nombreuses morts violentes : accidents, suicides ou homicides. J’ai été très surprise devant une telle constatation.
Les tensions sociales révélées par la forte mortalité par violence semblaient dues à un trop grand isolement et une impossibilité à pouvoir accéder à ce monde extérieur rendu attractif par les images vidéo. Une sorte de frustration pouvait être ressentie. On découvre soudain, par l’image, le reste du monde, mais pour s’y rendre il n’y a pas de moyen ou c’est trop coûteux. A l’époque, il n’existait que très peu de possibilités de transport pour entrer et sortir de cette région. Avec le réchauffement climatique, le tourisme s’est développé et les contacts sont devenus plus nombreux. Plutôt dans un seul sens, mais les habitants de la région apprécient avoir des visiteurs.
J’ai aussi observé une forte natalité et la présence de beaucoup de jeunes. Quelques immigrants étaient venus de la côte ouest. Quant à la population danoise présente, elle est en charge de l’administration, de l’école, de l’hôpital, etc. Mais c’est une population qui ne reste pas et repart tous les 2 ou 3 ans. Ce renouvellement permanent d’instituteurs, de gens qui s’occupent du système de santé… est très déstabilisant car à chaque nouvel arrivant, tout recommence pour la population locale. C’est un système très dur à supporter. C’est un peu l’échec de cette colonie créée pour ‘désengorger ’ la région d’Ammassalik dans un endroit très giboyeux, mais qui, au cours du temps, est devenu une sorte de vase clos.
Le mois de mai, période où j’étais sur place, marque le tournant de l’hiver vers le printemps. C’est une région extrêmement froide, nous sommes à 70° de latitude nord et le printemps est donc assez tardif. Lorsqu’il arrive, les campements s’organisent. La population ne pense qu’à quitter les habitations. Ces campements, Napparuulitikajik et Varden Pynt, sont des lieux où l’on installe les tentes et qui offrent encore deux maisons de chasse que l’on peut utiliser. C’est de cette côte que l’on guette les animaux passant dans le fjord. La glace commence à se fendre, de la côte on vise, on tire, puis avec une petite barque en fibre de verre facilement transportable sur le traîneau, on va chercher le phoque blessé avant qu’il ne coule. C’est aussi la période où passent les oiseaux migrateurs et où enfin, on peut pratiquer la pêche à l’omble chevalier.
Lieux visités lors de la mission :
- Scoresbysund, aujourd’hui Ittoqqortoormiit, municipalité de Sermersooq
- Itterajivit (Ittaajimit ou Igterajivit ou Kap Hope), village abandonné
- Uunarteq (Unortoq ou Kap Tobin), village abandonné, et campement Varden Pynt
- Kap Swainson (ou Napparuulitikajik), camp de chasse près d’Uunarteq
Localisation
Ittoqqortoormiit
Joëlle Robert-Lamblin
Joëlle Robert-Lamblin, anthropologue, Docteur d'Etat ès Lettres et Directeur de recherche honoraire au CNRS, a fait ses études à Paris dans les domaines de la sociologie et du droit. Au début des années soixante, de l'enseignement de l’ethnologie dispensé au Musée de l'...
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