L’été des Dolganes
A l'été 2001, le photographe Philippe Cabaret partage, quelques semaines durant, la vie d'une famille Dolgane.
Il y a quinze ans, je ne connaissais pas les Dolganes. Je n’avais jamais entendu ce nom, ne m’étais jamais penché sur ce coin de Sibérie — si tant est qu’il s’agisse vraiment encore de la Sibérie. J’apprendrais d’ailleurs plus tard que non ! il ne s’agissait plus vraiment de la Sibérie.
La Sibérie était pour moi un lieu d’oubli, de froid et de misère. Le pays des déportés. Le Nord me semblait le pays des difficultés, du froid, des explorateurs et des aventuriers. Je ne savais rien des habitants de ces régions. Je ne savais rien du Nord.
Et pourtant, je devais y mettre les pieds un jour ! En octobre 1999, un ami photographe me contacte ; il a besoin d’un autre photographe en Sibérie arctique pour photographier, sous différents angles, l’hélitreuillage d’un bloc de permafrost contenant les restes d’un mammouth. L’objectif de cette opération organisée par Bernard Buigues, un explorateur français, est de maintenir la chaîne du froid et permettre aux scientifiques d’étudier les restes de l’animal dans les meilleures conditions de conservation possible.
Nous prenons une ligne régulière pour rejoindre Norilsk, immense cité minière située, déjà, au-delà du cercle polaire. De Norilsk, nous embarquons à bord d’un avion cargo à hélice pour Khatanga, petite ville perdu plus au nord encore. Nous restons quelques jours dans cette étrange bourgade, ville frontière, qui ne peut être raliée que par avion ou par bateau. Elle est la « capitale » administrative de la région du Taïmyr, le territoire des Dolganes.
Justement, là-bas, les membres de l’expédition ne cessent de parler de ces fameux Dolganes. Je finis par comprendre qu’il s’agit d’un peuple autochtone vivant dans la région depuis près de trois siècles. J’en croise quelques uns en ville, qui me semblent vivre comme les russes dans cette région où la température, de 20°C en été, peut passer à – 60° C durant la nuit polaire.
Sur le lieu de l’excavation du bloc de permafrost, je remarque à proximité du camp une étrange « maison », construite sur traîneau. C’est un balok ! Autour, des rennes grattent le sol avec leurs pattes pour dégager la neige à la recherche de nourriture… Le soir, alors que nous dinons sous la tente qui abrite le réfectoire de l’équipe, entre Piotr Jarkov, petit homme habillé de fourrure, un bandeau dans les cheveux. Il se joint à nous pour la fête qui suit l’arrivée du ravitaillement. C’est le premier Dolgane a réellement vivre dans la toundra que je rencontre. Et le premier que je photographie.
Il est venu en voisin, avec son balok tiré par ses rennes domestiques. Un voyage de 80 kilomètres à travers la toundra pour passer quelques jours avec nous, et assister à l’excavation du bloc renfermant le mammouth, découvert par ses neveux. Il en profite pour échanger, discuter, jouer aux échecs. Piotr est curieux, avide de découvrir comment vivent ces français un peu fous qui ont planté leur camp au beau milieu de « sa » toundra.
Je ressens une sorte de flash ! J’ai l’impression de revoir une période de ma vie, de remonter le temps. J’en oublie le mammouth. J’aimerais accompagner Piotr lorsqu’il repart. Je me sens bien avec lui et à mon tour, je suis curieux de découvrir comment il vit peu mieux vivre ici, comment vivent les Dolganes. Je décide de revenir un jour, pour retrouver Piotr.
En février 2000, quatre mois plus tard, je suis de retour à Khatanga et je peux aller le rejoindre dans la toundra pour passer du temps avec lui, sa famille et ses rennes… en hiver.
Dix huit mois plus tard, en 2001, j’y retourne. En été cette fois, avec la brigade N°1 de Sopichnoïe, plus à l’Est, pour vivre avec eux dans la toundra une partie du mois d’août. Pour saisir leur vie pastorale et nomade et essayer d’arrêter le temps.