Mission 2000 en Basse et Moyenne Kolyma
Cette nouvelle expédition composée de l’ethnologue Boris Chichlo, du médecin-anthropologue Christian Malet, de la traductrice yakoute Sakayana Evseieva, et de moi-même, comprenait deux volets distincts. Une première partie consistait à poursuivre les observations débutées en 1991 et prolongées en 1993 et 1997 dans la région de la Basse Kolyma. La deuxième partie nous a conduits à la découverte des populations de la Moyenne Kolyma.
Nos incursions dans ces zones frontalières entre la Yakoutie et la Tchoukotka, entre la Yakoutie et la région de Magadan, sans oublier les rives septentrionales de la Yakoutie, n’étaient pas sans créer des complications administratives et bureaucratiques. A cela s’ajoutaient les grandes difficultés de déplacement, compte tenu de la pénurie de transports aériens. Cette fois, nous avons donc privilégié les déplacements en bateau le long du fleuve Kolyma. De la ville de Tcherski, c’est en petits canots à moteur sur un fleuve très agité, que nous avons pu rejoindre les camps de pêche de Chalaourovo et celui des éleveurs de rennes de Krasnouchka et de Soukharnoie, où nous attendait la famille Noutendli-Kiemlil. Les retrouvailles furent extrêmement amicales et l’accueil très chaleureux. Auprès d’Akoulina, vrai chef de famille, je peux sans réserve poser toutes les questions qui me viennent à l’esprit et me faire expliquer les projets de ce clan familial tchouktche, qui envers et contre tout, tient à affirmer son indépendance et son désir de survie, jusqu’à créer sa propre école dans la toundra.
L’expédition en Moyenne Kolyma s’est effectuée sur un cargo distribuant charbon et pétrole le long du fleuve Kolyma. La petite ville de Srednekolymski est notre première étape pour quérir les informations nécessaires au bon déroulement de la suite de notre séjour. Le but principal est d’atteindre Berëzovka, un village peuplé à majorité d’Evènes (85% de la population est évène), une vraie enclave d’éleveurs de rennes dans une région majoritairement habitée par des Yakoutes éleveurs de bovins et de chevaux. J’ajoute que ce village n’avait pour ainsi dire jamais été étudié par des étrangers.
Après avoir longuement attendu un transport aérien, nous sommes restés 17 jours à Berëzovka. Etant accompagnés par le professeur Vassili Robbek, linguiste évène originaire de cette région, les portes de ce village très isolé nous ont été ouvertes de façon exceptionnelle. Ma collaboration étroite avec Ouyandina, traductrice évène, et son mari Siméon Taraboukine, m’a permis de recueillir une grande quantité de connaissances sur cette ethnie qui défend ardemment ses traditions, ses coutumes et sa langue. Une cérémonie traditionnelle organisée par les plus âgés du village nous a permis de constater la permanence des traditions vestimentaires, culinaires, de la tradition orale et des danses locales évènes.
De retour à Srednekolymski, nous décidons de nous rendre dans le petit village de Nalimsk situé à 18 km de la ville. Nous étions les premiers étrangers à nous rendre dans ce hameau peuplé à 95% de Yakoutes. La surprise était totale pour eux comme pour nous. Dans cet environnement de taïga similaire à celui de Berëzovka, nous avons découvert une toute autre culture, tournée vers l’élevage des vaches et des chevaux, et associé à cela, un toute autre régime alimentaire, où les produits laitiers tiennent une place prédominante, tandis que chez les éleveurs de rennes ceux-ci sont pratiquement absents.
Nous avons observé les travaux de cette saison : ramassage du bois pour le chauffage d’hiver, constitution des réserves d’eau potable pour l’hiver, car le lac dont on peut boire l’eau en été devient impropre à la consommation en hiver, son niveau étant trop bas. Les habitants du village étaient ainsi occupés à découper en morceaux la croûte de glace potable et à les acheminer jusque chez eux.
Dans la petite ville de Srednekolymski où nous terminons notre séjour, nous assistons aux fêtes anniversaires des 70 ans de la création de cette communauté, ainsi qu’à la pêche qui est pratiquée dans la Kolyma à travers la glace à cette période de l’année. C’est le délicieux poisson, le nalim, que l’on capture pour le régal de tous.
En définitive, cette mission certes difficile dans sa réalisation, s’est avérée extrêmement enrichissante tant scientifiquement qu’humainement.
Trajet et lieux visités au nord-est de la Yakoutie (districts de Nishnekolymski et Srednekolymski
- Moscou
- Yakoutsk
- Tcherski et son port Zelyony Mys sur la Kolyma
- Chalaourovo (camp de pêche)
- Krasnouchka (base d’éleveurs de rennes tchouktches)
- Soukharnoie (campement des éleveurs)
- Kolymskoie
- navigation sur la Kolyma
- Srednekolymski
- Berëzovka (Beriozovka)
- Nalimsk
- Yakoutsk
- Moscou
Localisation
Yakoutsk
Joëlle Robert-Lamblin
Joëlle Robert-Lamblin, anthropologue, Docteur d'Etat ès Lettres et Directeur de recherche honoraire au CNRS, a fait ses études à Paris dans les domaines de la sociologie et du droit. Au début des années soixante, de l'enseignement de l’ethnologie dispensé au Musée de l'...
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