Je suis arrivé à Novorybnoye dans la nuit de vendredi à samedi avec Slava, chauffeur d’Oural, un énorme camion russe à six roues motrices. Nous avons remonté la Khatanga encore totalement gelée. Une route parfaite. Dix heures de trajet. Une bonne dizaine de vodka. Le thermomètre bloqué sur 27 (moins 27 évidemment, pour ceux qui nous rejoignent : dans le Nord, le moins est superflu).
Slava a sa petite boîte de transport. Vladimir Mamonov, ancien directeur du sovkhoze et toujours dans le business de viande de renne, lui a commandé un aller-retour à Novorybnoye. Je profite du camion. Premier stop à cinq cents mètres de Khatanga. Ruski tradicia ! me lance Slava en sortant deux verres en plastique, une bouteille et quelques sandwichs. Bavard comme pas deux. Le voyage s’annonce bien. Juste un peu trop arrosé ; les occasions sur la route furent un peu trop nombreuses : un tracteur du port de Khatanga avec deux mecs bourrés dans la cabine ; on ne va pas les laisser seuls descendre leurs bouteilles ! Quelques kilomètres plus loin un deuxième tracteur du port ; ça ne serait pas poli de leur refuser ce que nous avons accepté de leurs collègues. Puis un bus de passagers (il faut entendre par bus un genre de mini-bus totalement transformé pour être monté sur d’énormes pneus) crevé. Arrêt pour récupérer les bagages des passagers et alléger le bus et regonfler le pneu avec le compresseur de notre Oural. Là, nous rencontrons des copains de Slava qui font la route vers Sopechnoye (un village encore plus éloigné). On prend des nouvelles, on discute des affaires, et on s’en met encore je ne sais pas combien dans la tronche ! Les sandwichs sont plutôt bons, la vodka plutôt fraîche et les esprits s’allègent, s’allègent… Toujours 27 dehors, une lumière magnifique, une douce lune dans un ciel pastel. C’est chaud, c’est froid, c’est beau.
Arrivée à Novorybnoye vers trois heures du matin. Ça fait déjà plusieurs heures que je m’écroule de fatigue sur Slava qui me repousse dans mon coin d’un bras à la fois fort et sympathique. Deux noctambules nous indiquent où se trouve la maison de Misha Antonov chez qui je vais loger. L’un des deux tambourine à la porte. Qui s’ouvre enfin sur un petit bonhomme décidé. On range les bagages dans son garage (une cabane en bois) avec les deux drums (gros bidons métalliques de deux cents litres) d’essence que nous avons apporté. Ici on les manipule à la main… On mange, on boit (du thé, cette fois) et on bavarde. Couché quatre heures du mat. La notion du temps, alors que les nuits blanches commencent, devient très relative.
Hier dimanche avait lieu la « fête du renne » ou la « fête du soleil ». Cette fête, qui marque la fin de l’hiver, est l’occasion pour toutes les familles nomadisant dans la toundra de se retrouver. Dans la région, trois villages organisent une « fête du soleil ». A l’échelle locale c’est un événement important : les occasions de se retrouver ne sont pas nombreuses.
Au programme : courses de rennes (hommes et femmes), courses d’attelages de chiens, course de bourane, lancer de lasso… Une fête malheureusement peu réussie de l’avis de pas mal de monde. J’ai personnellement été assez déçu.
Mais j’y ai retrouvé de vieilles connaissances, les familles Jarkov et Popov, ces deux familles qui avaient indiqué au Français Bernard Buigues où se trouvait un mammouth. J’aurai l’occasion de vous en reparler. Étonnantes retrouvailles en tout cas. Je mesure à quel point l’ouvrage du temps n’est pas le même chez les uns et les autres, ici et chez nous. Certains ont grandi (comme Kostia, le fils d’Olga, que je ne reconnais pas), d’autres ont vieilli plus que je ne l’aurais imaginé. Beaucoup de sentiments mêlés mais tout de même le plaisir des retrouvailles. Avec cette étrange impression d’échanger des souvenirs du bon vieux temps avec les quelques derniers nomades dolganes de la planète… Je dois l’avouer, c’est idiot sans doute mais je l’avoue, le sentiment, aussi, d’une pointe de privilège.
Pour la famille Popov, la journée à été bonne. Olga et Kostia (la mère et le fils) ont chacun remporté leur course de rennes. Un bourane pour chacun ! Offert par Norilsk Nickel, généreux sponsor de l’événement.
Aujourd’hui lundi, c’est lendemain de fête dans le village… Je fais la tournée des cousins après avoir été abordé dans la rue par Vassia, un neveu de Misha (chez qui je loge). Je crois que je vous raconterai plus tard Novorybnoye, à mon retour de la toundra. Où je pars demain. Je ne sais pas bien combien de temps j’y resterai. La lumière dans la toundra est très dure et ce n’est vraiment pas facile de travailler.