J38 – Grosse avarie et réparation de fortune

samedi 1 mars 2008

C’est la bonne, ou pas, cette fois ? Ça fait deux jours que chaque matin, Ilya, l’éleveur de rennes chez qui je me trouve depuis une semaine, m’annonce une nouvelle raison pour ne pas partir aujourd’hui. Ce ne sont pas des raisons bidon, loin de là. Hier, un des deux bouranes (les skidoos) avait un problème. Avant-hier les pilotes n’étaient pas en forme… Mais aujourd’hui non, j’ai l’impression que « ça va le faire » !

C’est certain même. Je vois les gars préparer les traîneaux. Nous rentrerons à deux bouranes. Ils sont deux à remonter sur Krasnoye, le village de la famille : Ilya (le cousin de l’autre Ilya qui m’a accueilli dans sa brigade) et Roman, le frère du second Ilya, chez qui j’étais. Je suis bien d’accord, ce n’est pas facile, ça fait beaucoup d’Ilya. Et encore je vous en passe quelques-uns ; il y a deux jours ils étaient quatre Ilya dans la brigade !

Le traîneau d’Ilya est chargé de viande. Hier encore ils sont partis au troupeau pour tuer un renne. Puis encore ce matin, un dernier, un peu en catastrophe, une demi-heure avant le départ. Ils étaient tellement pressés qu’ils l’ont tué au fusil et dépecé en vitesse avant de le charger sur le traîneau. Sans doute avaient-ils oublié qu’ils avaient promis de la viande à un cousin, un ami, un voisin…

C’est une des raisons de ces allers-retours réguliers entre Krasnoye et la brigade. Descendant vers le sud, ils transportent de l’essence au camp. Remontant vers le nord, ils rapportent de la viande au village.

Je coince Ilya pour discuter argent. Il reste sur ses 20 000 roubles, soit plus de 500 euros. C’est énorme. A la limite, pourquoi pas, si les déplacements en bourane avaient été effectués que pour moi. Mais à l’aller comme au retour je n’étais que passager, profitant de déplacements prévus pour eux. Ce que j’explique à Ilya. Qui manifestement ne s’y attendait pas. Je le sens bien emmerdé en train de se dire : Blet ! Blet ! Je lui propose de payer l’essence plus une compensation pour la nourriture pendant que j’étais chez eux. J’arrondis le tout à 5 000 roubles. Ilya est encore plus emmerdé, il voit bien que mon calcul n’est pas si con et que, dans le fond, j’ai raison. Il tente un 10 000 ? Mais non, je reste sur mon offre.

Il est vraiment emmerdé, ne veut pas décider seul. Va en parler avec les autres ou fait semblant de le faire. Nous allons boire un thé sous la Tchoum. N’en parlons pas. On tourne autour du pot. Je le relance d’un coup d’œil quand je finis mon thé. Ma batterie de voiture pour alimenter mon ordinateur traîne par terre. Il la met dans la balance. Je l’attendais, celle-là ! Je la lui laisse. Tout le monde s’en sort bien.

Pour info, les revenus de la famille pour une année sont d’environ 6 000 euros, soit 18 500 roubles par mois. Bref, il me demandait environ un mois de salaire.

Dernière photo de toute la brigade et nous partons. Il est midi. Nous en avons pour quatre ou cinq heures. Je suis derrière Ilya. Pas de dossier. Il a dû se perdre il y a bien longtemps. Je suis calé entre trois jerrycans. Ça marche pas mal. Ceux qui suivent ce blog se souviendront que Ilya m’avait fait un cours sur les qualités du bourane. Que l’on peut réparer partout dans la toundra. Quarante-cinq minutes ! Quarante-cinq minutes c’est le temps qu’il aura fallu pour que son bourane nous donne l’occasion de le vérifier ! Ilya est vraiment un homme de parole ; c’est lui, aussi, qui m’avait dit « Quand on boit on boit ! Quand on travaille on travaille ! » Un homme de parole, quoi !

Bolchoï avaryi. Bolchoï avaryi. Grosse avarie. Il a encore l’air de tenir parole. Le patin est en vrac, totalement de travers. Ce sont les ressorts qui ont cassé. Nous sommes au milieu de nulle part, Ilya n’a pas la pièce de rechange (il me regarde en souriant et me dit qu’il l’a laissée à la brigade) mais l’endroit est magnifique.

Pas de quoi s’énerver ni s’inquiéter. D’abord fumer une clope. Puis : retirer les jerrycans du bourane, soulever le nez du bourane pour y glisser un des jerrycans, démonter le patin, réfléchir deux minutes et trouver la solution : redresser les ressorts, les glisser les uns dans les autres, aller couper du bois dans la forêt pour tailler une pièce qui soutiendra le tout, trouver un arceau métallique et quelques vieux boulons sous la selle, remonter le tout et finir par saucissonner la réparation avec une vieille sangle.

Il fait dans les vingt (moins vingt degrés, bien sûr, mais dans le Nord le moins ne se dit jamais). Ilya et Roman ont bien sûr tout réparé sans gants, sans s’inquiéter ni s’énerver une seule seconde. Tout s’est enchaîné merveilleusement bien et nous sommes repartis tranquillement.

Les voyant travailler, je ne pouvais m’empêcher de penser à ce que nous sommes devenus nous, automobilistes modernes. La moindre panne et nous devons téléphoner à tel ou tel service d’assistance, appeler cinq ou dix personnes parce que nous allons être en retard, nous énerver, pester contre la voiture, contre, contre, contre…

La réparation a tenu. Bon. Et jusqu’au bout. Il faisait un froid intense accompagné de vent. J’étais totalement emmitouflé dans ma doudoune, la chapka enfoncée au maximum. Et caché par Ilya. Qui lui se protégeait à peine le visage alors que son bourane n’a pas de déflecteur. Pas le moindre signe de gel sur son visage. Quand je lui demande s’il ne gèle pas, il me répond avec ce geste typique de la main jetée vers le sol : Niet, normal ! Non, ça va !

Arrivée magnifique à la nuit tombée. Les premières lueurs de la ville nous arrivent au niveau de la station radio. Les immenses antennes satellites se découpent dans un ciel qui prend une couleur bleu foncé. Les phares des bouranes illuminent la neige. Je suis gelé mais c’est superbe.

Pour Ilya et Roman, le chemin n’est pas fini. Il leur reste encore une quarantaine de kilomètres jusqu’à Krasnoye. Moi je vais à la maison des étudiants où je peux dormir dans l’une des chambres réservées aux profs, qui viennent d’Arkangelks. Je n’ai pas les moyens de me payer l’hôtel et, de toute façon, je suis mieux là.

Déballage du sac. Je mets un bordel monstre dans la chambre que je partage avec un prof. Un prof d’histoire des États-Unis et de la France. Ce soir, je lui ai donné à voir une autre facette de la France. Dîner. Un coup de fil à Natalya pour faire le point sur la suite. Ce billet. Et je me couche. Bon week-end à tous.

Sasha, quatre ans et demi, en train de jouer à conduire comme tous les gamins du monde.

 

Bolchoï avaryi. Les ressorts du patin ont cassé. Il y a deux ou trois jours, Ilya me racontait que c’était un des points faibles du bourane.

 

Ilya redresse les ressorts comme il peut. Au marteau, à la hache, en les coinçant…

 

Avec quelques pièces trouvées sous la selle, Ilya et Roman réussissent à refixer les ressorts à peu près correctement.

Roman est revenu de la forêt avec un bout de bois ayant déjà la bonne forme, le bon diamètre. Il ne lui restait plus qu’à tailler cette pièce encore un peu. Deux mots sur Roman… Il a passé trois jours à la brigade écroulé, bourré quasi en permanence. Mais aujourd’hui, au milieu de nulle part, par 20 ou 23 degrés sous zéro, il réussit naturellement, stoïquement, sans se poser de questions, ce que bien peu de monde, chez nous, serait capable de faire.

Un bout de sangle pour empêcher les ressorts de trop chasser à droite ou à gauche.

 

Réparé ! Cinquante-cinq minutes, montre en main.

 

Arrêt thé-pipi. Le paysage que j’ai devant les yeux.

 

Les derniers kilomètres à la nuit tombante. Une ambiance magique.

Kraï de Krasnoïarsk, Russie, 648581

Moscou, Russie

Russie

Naryan-Mar, Nénétsie, Russie

Salekhard, Iamalie, Russie

Yar-Sale, Iamalie, Russie

Khatanga, Kraï de Krasnoïarsk, Russie

Russie, 647471

Norilsk, Kraï de Krasnoïarsk, Russie

Observatoire Photographique des Pôles

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