J102 – Interrogations sur un mammouth

dimanche 4 mai 2008

En quelques jours Khatanga s’est transformée en une vaste tache noire au milieu d’une toundra qui reste immaculée et éblouie de lumière. La neige a quasiment disparu des rues et ce qu’il en reste n’est qu’un amas noirâtre, mélange de neige, de glace, de poussière, de charbon et de boue. Les mères se lamentent des retours de jeux de leurs enfants…

La ville est exclusivement chauffée au charbon et les chaufferies d’un autre âge dispersent une poussière de charbon qui se répand partout. C’est pour cela que la neige fond si vite à Khatanga. Par un phénomène tout simple : le noir de cette poussière capte l’énergie d’un soleil déjà haut dans le ciel. Et malgré les 10 ou 12° que nous avons en ce moment (moins, bien sûr ! Pour avoir un + 10, il va falloir encore attendre un bon mois et demi !), la neige fond à une vitesse ahurissante. La toundra que l’on peut facilement apercevoir au loin, elle, n’a pas changé.

En me promenant hier soir avec une (jolie) prof d’anglais, je me suis soudain dit qu’il se passe dans les rue de Khatanga exactement ce qu’il se passe dans l’Océan Arctique en ce moment. Et qui explique la fonte accélérée voire exponentielle de la banquise. Chaque kilomètre carré de banquise disparu laisse apparaître un kilomètre de mer supplémentaire. Cette masse d’eau exposée au soleil se transforme en un redoutable capteur d’énergie solaire ce qui accélère la fonte de la glace avoisinante. Et ainsi de suite. Khatanga, laboratoire d’étude sur la fonte des glaces… Je n’y avais jamais pensé. En tout cas ça donne une idée concrète de la puissance de ce type de phénomène.

Petite réflexion personnelle. En tentant de trouver le sommeil hier soir, je voyais l’image du dernier homme vivant sur terre, assis désolé sur un rocher, face à un océan roi et se disant « Si j’avais su ». Et pourtant il savait…

Bref…

Khatanga c’est aussi un « musée » très original et sans doute unique en son genre. Gamet, vieil ami de dix ans, est le gardien des lieux, l’ingénieur en chef, le maçon des glaces. Le « Musée du Mammouth » se trouve dans un des liedniks de la ville (les liedniks sont des caves gelées creusées dans le permafrost. La température y est naturellement constante à —18°). Pour ceux que l’envie de venir prendrait, c’est le dernier liednik, tout en haut du petit chemin qui part du port.

Trois portes espacées chacune de quatre ou cinq mètres protègent l’entrée de la cave. Une sorte de coffre-fort du froid. On avance à tâtons sur les quelques premiers mètres, le temps de s’habituer à la pénombre. Puis un étonnant spectacle s’offre à vous. A votre droite, un crâne de mammouth laineux vous regarde de haut. Énorme. Les orbites vides, les trous d’où étaient fixées des défenses que l’on imagine immenses. A votre gauche, une patte arrière avec son omoplate (bon, je ne crois pas que cet os-là s’appelle l’omoplate. Que les spécialistes m’excusent et me corrigent). Aussi grande que moi. On imagine la taille d’un mammouth laineux…

Puis un long couloir pavé de briques de glace (la dernière réalisation de Gamet) se déploie devant vous. Le long de chacun des murs givrés des défenses, des os divers. Tout au fond, le squelette très complet d’un jeune mammouth. Cette cave, ce « musée » distille une ambiance surprenante.

Dans les caves latérales fermées par des murs de glace un bazar de caisses diverses. Des dizaines, des centaines d’os et de défenses plus ou moins référencés. Sur les étiquettes des noms que je reconnais, souvenirs d’une époque déjà lointaine où je participais comme logisticien aux expéditions d’où provient une bonne partie de ce matériel.

La pièce-maîtresse, le clou du musée, c’est ce fameux mammouth Jarkov, trouvé par la famille du même nom (que j’ai revue la semaine dernière à Novorybnoye) au gré d’un de leurs déplacements dans la toundra. Je retrouve le bloc exactement comme je l’avais vu lors de mon dernier passage à Khatanga il y a sept ans maintenant. Il est recouvert d’une immense bâche bleue. La frénésie de l’époque semble bien lointaine.

En ville, ce bloc soulève pas mal d’interrogations. Parfois des rires amusés. Complet ? Pas complet ? Les plus bavards vous racontent que bien sûr il n’y a rien dans le bloc. Ce que d’autres veulent confirmer avec des explications plus ou moins scientifiques : vu les proportions entre les défenses et le bloc il ne peut pas y avoir grand chose dedans. Le bloc est bien trop petit par rapport aux défenses.

Au pied et autour du bloc de vingt et une tonnes (dont la taille avait été fixée en fonction des capacités de portage de l’énorme et fascinant Mi-26 qui l’avait hélitreuillé — le plus gros hélicoptère civil au monde) la présence d’un certain nombre d’os appartenant au mammouth Jarkov laisse songeur…

Et si… Et si ce qui fut présenté à l’époque comme une incroyable expédition scientifique (le premier mammouth complet extrait du permafrost dans sa gangue de terre afin de ne pas abîmer son patrimoine génétique et cellulaire) n’avait été, finalement, qu’une vaste opération cinématographique et de communication ?

Reste en tout cas que je vous recommande la visite du Musée du Mammouth de Khatanga à tous ceux qui passeront par ici. C’est une incroyable découverte dans une ambiance vraiment étonnante.

A l’entrée de la cave, le crâne impressionnant d’un mammouth laineux et une paire de pattes postérieures.

Au fond du long couloir de glace, le squelette d’un mammouth laineux.

Des os, des défenses… un immense fatras figé par le froid mais aussi dans le temps semble-t-il.

Jarkov…

… et l’astucieux système qui permit de raccrocher les défenses sur le bloc de permafrost avant son envol sous un hélicoptère Mi-26.

Des ossements du mammouth « Jarkov ».

La face arrière du bloc. Telle que j’avais pu la voir il y a sept ans, lors de mon dernier passage à Khatanga.

Kraï de Krasnoïarsk, Russie, 648581

Moscou, Russie

Russie

Naryan-Mar, Nénétsie, Russie

Salekhard, Iamalie, Russie

Yar-Sale, Iamalie, Russie

Khatanga, Kraï de Krasnoïarsk, Russie

Russie, 647471

Norilsk, Kraï de Krasnoïarsk, Russie

Observatoire Photographique des Pôles

Observatoire Photographique des Pôles

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