J99 – « Je ne sais pas ce que je vais trouver devant moi »

jeudi 1 mai 2008

La fête du travail. Je me cache. Je réponds au téléphone avec prudence ; qui donc m’appelle ? J’ai trop bu ces jours derniers. Besoin d’une pause. Au rythme des « trois huit », je ne peux plus…

Le temps et les distances, encore une fois. Je radote ? Sans doute. Mais la vie ici est conditionnée par le temps qu’il fait, le temps que l’on va mettre à arriver, la distance qui nous sépare d’un village, d’un frère ou d’un cousin. Je radote, je rabâche ; mais nous avons tellement oublié ces notions élémentaires qui nous accrochent à quelque chose de concret.

Novorybnoye — Khatanga : 180 kilomètres. Départ mardi dans l’après-midi, vers 15h30. Arrivée jeudi matin, vers 9 heures. Durée du trajet : dix-sept heures trente ! Les plus matheux feront le calcul de notre moyenne. Oh bien sûr nous nous sommes arrêtés sur « la route » pour manger, pour extraire de la neige une barque abandonnée pendant l’hiver et à rapporter à Jdanova, un misérable village situé à quelques kilomètres de Khatanga. Mais tout de même, dix sept heures !

Et des réflexes naïfs qui s’accrochent. Je ne peux m’empêcher de demander à Aliosha, le chauffeur, quand nous allons arriver. Et cette réponse, évidente, qui me renvoie à la bêtise de ma question : « Dans longtemps. Dans très longtemps. Il nous reste autant à faire que depuis Novorybnoye. Et je peux pas te dire combien de temps. Je sais combien de kilomètres il nous reste à faire. Combien de temps ? Je ne sais pas. Je ne sais pas ce que je vais trouver devant moi jusqu’à Khatanga ! »

Bien sûr… Ce qu’il va trouver devant lui ? La visibilité qui baissera, par exemple, à mesure que le soleil déclinera (les nuits blanches ont commencé). Lunettes ou pas, on n’y voit plus rien. Aliosha avance presque en aveugle, lentement, forcément. 10, 12 km/h maximum. Au dernier moment une congère de neige plus haute qu’une autre. Trop tard pour l’éviter. L’avant du Vizdirod se soulève, telle la proue d’un navire en pleine mer, puis retombe lourdement.

A l’intérieur il fait chaud, trop chaud. Le moteur situé entre la cabine et l’arrière distille ses effluves d’huile chaude. On s’en protège comme on peut. On ouvre la porte arrière de temps en temps. Ce qui permet de jeter un œil sur l’énorme traîneau fait de poutrelles métalliques que nous traînons.

On mange (en sortant poêle et réchaud pour y faire réchauffer quelques kotelettes de poisson — des sortes de boulettes de poisson). On boit. Trop. On discute. Au rythme des verres. On dort. Beaucoup. Secoués et ballottés. Nous sommes huit à bord. Le prix du billet : 1 500 roubles soit environ une quarantaine d’euros. Ce qui n’est pas rien. Je vous le disais il y a quelques jours : une famille de quatre personnes à l’aise dépense environ 2 000 roubles par semaine. Imaginez dépenser autant pour faire 200 kilomètres !

Pour ceux que la technique intéresse, deux mots (plus je ne peux pas) sur le Vizdirod : six tonnes, entre vingt et trente litres de diesel à l’heure. Dima, le mécanicien, a fait le plein trois fois. Il profite de chaque arrêt pour extraire un peu de neige des chenilles en tapant dessus comme un sourd avec un gros marteau.

 

Le Vizdirod. Un passe-partout de six tonnes.

 

Cuisine à bord. Nikolaï, à gauche de la photo, est l’un des deux mécaniciens. A sa droite, au fond de la cabine, Aliosha, le pilote.

 

Une heure du matin. Le bateau sort enfin de sa gangue de neige.

 

Trois heures du matin. On ressort le réchaud encore une fois. Plus de thé à bord.

Kraï de Krasnoïarsk, Russie, 648581

Moscou, Russie

Russie

Naryan-Mar, Nénétsie, Russie

Salekhard, Iamalie, Russie

Yar-Sale, Iamalie, Russie

Khatanga, Kraï de Krasnoïarsk, Russie

Russie, 647471

Norilsk, Kraï de Krasnoïarsk, Russie

Observatoire Photographique des Pôles

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