Ma patience (et la vôtre) ont été récompensées. J’ai enfin pu descendre dans l’une des mines de Norilsk. La mine est un univers qui me fascine et c’est avec un vrai plaisir que j’ai rejoint le site à bord d’une large et molle Volga noire. La route est toujours aussi défoncée et, de part et d’autre, la toundra apparaît en larges taches brunes. Les petits lacs que j’aperçois se recouvrent eux d’auréoles turquoises dessinées par l’eau de la fonte de la neige qui s’accumule à leur surface.
Ne vous y trompez cependant pas, nous ne traversons pas un paysage enchanteur. Nous sommes bien toujours à Norilsk. Avec son univers de tuyaux, de carcasses métalliques plus ou moins anciennes. C’est un des contrastes de la région : en quelques kilomètres on passe d’un univers de chaos à un paysage de toundra enchanteresse.
Mon premier contact avec la mine est plutôt agréable. Une charmante jeune femme nous accueille (Rastislav du département presse de Norilsk Nickel m’accompagne) et nous distribue nos habits et l’équipement réglementaire : chaussettes, sous-vêtements en coton gris, une veste en coton. Un casque, une lampe frontale et un kit de survie renfermé dans une belle boîte en aluminium.
Alexeï qui va nous guider dans la mine nous invite à nous dépêcher. Nous sommes à deux doigts de manquer l’ascenseur de dix heures.
Une bonne dizaine de personnes attendent avec nous devant les portillons qui marquent l’entrée de la mine. Chacun doit y introduire une sorte de clé métallique avant d’entrer. Dorénavant c’est un autre univers. Les couloirs, bureaux et portes en bois laissent la place aux poutrelles métalliques de l’ascenseur, les lampes sont énormes, les bruits ne sont plus feutrés mais claquent aux oreilles…
L’ascenseur est là. Chacun pénètre lentement sur la large plateforme métallique. La porte roule et se ferme, l’ascenseur marque un bref sursaut et entame sa plongée. Je m’attendais à une descente vertigineuse à se faire éclater les oreilles mais ce n’est pas le cas. Alexeï m’explique que la vitesse a été réduite il y a quelques années. Sept mètres par seconde au lieu de douze autrefois (25 km/h au lieu de 43).
Nous descendons dans un noir quasi complet, personne n’allume sa lampe frontale. 700 mètres. Ce n’est pas pour nous. 800 mètres. Nous sortons et nous nous engouffrons dans une large galerie pour rejoindre un petit train minuscule. Accroché au mur entre quelques tuyaux et câbles électriques, un panneau me fait sourire : « station passagers ».
Le noir, encore. Cette fois, il ne nous quittera plus. Nous nous enfonçons dans le cœur de la mine. Désormais les galeries ne sont plus éclairées.
Je m’attendais à beaucoup de monde, une sorte de folle activité. C’est tout le contraire. Très peu de monde. Nous aurons d’ailleurs du mal à trouver des mineurs en train de travailler. Alexeï se moque gentiment de moi en me disant que le temps de la pioche et de la barre à mine est révolu depuis longtemps. Je m’en doutais mais pas à ce point…
Dans les larges galeries qui cachent dans leur ombre des coins et des recoins, ainsi que des gouffres collecteurs de minerais roulent d’énormes machines : des tracteurs, des marteaux-piqueurs (peut-on encore les appeler comme ça ?) d’une bonne dizaine de mètres de long, des autobus comme ils les appellent pour transporter les ouvriers. Quelques rares silhouettes qui avancent seules dans le noir ou dessinées en ombres chinoises par les phares d’un engin de passage.
Du noir, du noir, partout du noir. Dans les 600 kilomètres de galerie de la mine, l’univers se résume au cercle de lumière de votre lampe frontale. Il détache des parois des galeries des milliers d’ombres : tuyaux d’aérations, armatures métalliques, câbles électriques ou d’acier… mais n’oubliez pas non plus d’éclairer vos pas. Le chemin n’est pas toujours très sûr entre les pentes raides, les immenses flaques d’eau ou de boue, les cailloux qui roulent…
La température est fraîche, parfois un fort courant d’air envahit une galerie. Il ne fait chaud qu’à proximité des engins dont les moteurs dégagent chaleur et fumée.
Le peu d’activité ne cesse de m’étonner. En quelques heures je n’aurais vu qu’une petite dizaine de d’ouvriers. Je ne vais discuter avec Alexeï que vendredi prochain : j’en saurai alors plus. Peut-être est-ce dû au fait qu’aujourd’hui en fin de journée de nouvelles galeries seront creusées à coup de dynamite ?
Trop bref passage dans cette mine. Les mineurs, ici comme en France, ont le regard vrai et fier. Quelles mines avons-nous en France fut d’ailleurs la première question que l’on me posa dans les galeries.
Quelques mots à propos des photos pour ceux que la technique intéresse. Les conditions de lumière, vous l’avez compris, sont assez déplorables. Je n’ai évidemment pas utilisé de flash mais seulement le peu de lumière que dispensent les frontales des uns et des autres. Aidé parfois par quelques lampes amicales à qui je demandais de venir se poser sur un visage, un point de la photo. J’avais également toujours ma lampe dans la poche et pas sur le casque pour pouvoir la diriger moi-même sur un point précis. Le boîtier dans une main, la lampe dans l’autre.
Les photos ont toutes été réalisées à 3 200 asa. Je n’y ai appliqué aucun post-traitement. Ce sont les fichiers bruts jpeg que j’ai envoyés à deux exceptions près : le dessin et les étagères avec les lampes et kit de survie auxquelles j’ai appliqué une légère accentuation.
Je ne peux m’empêcher de tirer mon chapeau aux ingénieurs de Nikon qui ont vraiment réalisé un boulot étonnant et nous offrent un outil assez extraordinaire pour de telles conditions de lumière.