J18 – On lève le camp
dimanche 10 février 2008Mauvais temps ce matin dans la toundra. Il neige et il fait chaud. La neige colle, il fait trop chaud dans la Tchoum… Il était prévu que nous bougions le camp de place. Naïvement, avec le temps qu’il fait j’ai pensé qu’ils allaient remettre ça à un autre jour. Mais non, sitôt le petit déjeuner terminé, ils attaquent le « pliage » du camp.
Slavic, Sasha, Alexeï et Vassilly commencent par ranger toutes les affaires qui sont à l’extérieur. Sous les ordres calmes de Sergeï qui passe et repasse entre les traîneaux, les caisses… Je suis étonné par leur rapidité. Les traîneaux se chargent les uns après les autres. Une fois un traîneau chargé, les affaires sont soigneusement protégées par des bâches et bien ficelées avec de vieilles cordes.
Il faudra environ trois heures pour que l’extérieur du camp soit rangé. Avant de démonter la Tchoum, un dernier thé et du poisson. Trois derniers toasts aussi parce que nous quittons ce lieu. Cela fait plus d’un mois que la brigade est ici. Les rennes ont changé de lieu de pâturage. Il faut les suivre maintenant.
Sasha et Alexeï s’occupent de ranger les affaires de cuisine. Quelques grosses gamelles noircies par le feu, quelques assiettes, des bassines pour la vaisselle ou pour préparer la viande ou le poisson. De grosses tasses pour le thé, des verres pour la vodka, soigneusement emballés dans de vieux journaux. Tout cela rentre minutieusement dans de jolies caisses vertes avec, dessinées dessus, de grosses fleurs orange.
On peut croire, au premier regard, à un immense bazar. Parce que leurs affaires sont vieilles, très vieilles même. Le peu qu’ils ont est rangé dans de vieux sacs genre « Tati » ou, même, dans des sacs plastique. Mais pas du tout. Chaque chose a sa place, les caisses se ferment facilement une fois remplies.
J’aime le traîneau chargé de coussins. Jaunes, oranges, verts, bleus… un empilement de couleurs au milieu de la toundra. Puis s’empilent les peaux de rennes qui leur servent de matelas.
Puis vient le moment du démontage de Tchoum. Très rapide. Il leur suffit de retirer les deux bâches en tissu vert kaki puis les peaux de rennes cousues en deux très grands ensembles. Le plus long sera d’en retirer la neige. Taper, taper et taper encore pour décrocher la neige.
La Tchoum démontée laisse apparaître les lichens de la toundra. Un renne vient s’en régaler pendant que les chiens fouillent à la recherche de quelques morceaux de viande ou de poisson qui seraient tombés par terre. Drôle de cohabitation. Le renne a l’air de considérer cet endroit comme son territoire et chasse de temps en temps un chien ou un autre qu’il trouve un peu trop envahissant.
Douze traîneaux au total. Vassilly va chercher la partie du troupeau qui reste toujours à proximité du camp pour les attelages. Et recommence l’opération de les faire entrer dans leur enclos. Quelques traîneaux disposés en rond et reliés entre eux par un vieux filet. Les rennes s’avancent vers l’enclos mais hésitent à entrer. Les hommes attendent. C’est une affaire de patience. Ça ne sert à rien de les brusquer, ils partiraient dans la direction opposée et tout serait à refaire. J’aime ce moment où le temps semble s’arrêter. Les rennes hésitent, les hommes attendent. Puis un renne s’avance, un autre le suit et le troupeau suit. C’est presque joué quand soudain un des derniers rennes s’élance vers l’extérieur. Tous le suivent. Tout est à refaire !
Le choix des rennes pour les attelages semble être très calculé. Sergeï les choisit soigneusement avec Sasha et Alexeï. Ils avancent parmi les rennes, regardent, jaugent puis en attrapent un. Par le cou, par les bois. Lui passer une corde autour du cou et l’attacher à l’un des traîneaux qui forme l’enclos. Dès que trois rennes ont été choisis, ils les sortent pour les emmener au traîneau qu’ils devront bientôt tirer. L’opération prend bien plus d’une heure.
Chaque attelage est formé de trois traîneaux accrochés les uns aux autres. Trois rennes suffisent pour les tirer malgré la neige épaisse, lourde et mouillée ce matin.
Vers deux heures nous nous mettons enfin en route. Nous y sommes depuis sept heures ce matin. Depuis le lever, le temps n’arrête pas de changer. Couvert, ciel bas. Quelques trous de ciel bleu, quelques très faibles rayons de soleil. De la neige, de gros flocons. Du vent. Presque de la pluie.
Je n’aime pas ce temps. La neige fond sur les vêtements mais surtout sur les boîtiers ! Cela forme des gouttes d’eau qui regèlent ensuite. C’est le pire.
Nous n’irons pas bien loin. Une heure de « route » seulement. Quatre kilomètres peut-être. En fait Sergeï veut retourner au balok, en lisière de forêt. Tout le gros du campement est laissé entre le balok et le troupeau. Nous ne prenons que nos affaires personnelles. C’est à dire pour Sergeï, Sasha, Alexeï, Slavic et Vassilly quelques sacs « Tati » et plastique. Moi c’est une autre histoire, entre mes affaires, le matériel photo et informatique.
A l’arrivée au balok je jette un oeil sur le thermomètre. Je crois rêver. Plus un ! Vassilly me demande combien. Je lui dis « Un » (dans le Nord on ne dit jamais le « moins », bien inutile ici). Mais quand je lui précise, trois secondes plus tard « Plus un ! » lui et les autres gars avec lui ouvrent de grands yeux ronds. Sergeï me dit qu’il ne sait pas où est passé l’hiver. Habituellement, à cette période on peut avoir des 40. – 40°C, bien sûr !
Soirée mots croisés pour Slavic qui me met à contribution pour trouver des mots français, des noms d’acteurs français ou de « jeune vin français » : beaujolais.