J21 – Slavic quitte la brigade
mercredi 13 février 2008J’ai récupéré de l’énergie. Pas moi mais plutôt mon ordinateur. J’en profite pour vous en dire un peu plus aujourd’hui.
Hier matin était une matinée un peu triste. Slavic Rochev, un garçon timide et gentil quittait la brigade. Slavic a trente-six ans. Il est marié et a deux enfants de 13 et 7 ans (un garçon et une fille). Triste de quitter la brigade. Je l’ai retrouvé plusieurs fois assis, le regard perdu, en attendant l’heure du départ. Il a passé dix mois avec Sergeï, Sasha et Alexeï. Dix mois passés dans la toundra, le plus souvent sous la Tchoum. Dix mois, dont deux mois de nuit polaire. Dix mois, aussi, que Slavic n’a pas vu sa famille, sa femme et ses enfants. Dix mois…
Dix mois pour un salaire de 4000 roubles par mois. Environ 150 euros. Un salaire qui dépend du nombre de bêtes vendues en décembre, au moment où les rennes sont abattus. Les conditions dans lesquelles évoluent les rennes le concernent, comme les autres éleveurs, donc directement.
Slavic va rejoindre un autre kolkhoze où il travaillait il y a quelques années et où travaillent aujourd’hui son frère et son cousin. « Là-bas », me dit-il, « le directeur n’est pas un voleur ! Il ne cache pas des bêtes pour nous payer moins ! ».
Il va falloir trois jours à Slavic pour rejoindre Okunov Nos, son village. Une journée de Bourane (la marque traditionnelle de Skidoo russe qui est devenu un nom générique comme frigidaire) jusqu’à une autre brigade à environ 50 kilomètres de là où nous nous trouvons actuellement. Puis une autre journée en traîneau, avec un troupeau à déplacer. C’est là qu’il retrouvera son frère. Je ne sais même pas quand ils se sont vus pour la dernière fois… Encore une nuit, puis une autre journée de Bourane pour enfin rejoindre Okunovo Nos.
J’ai voulu suivre Slavic. J’aurai pu, sans problème. Je n’y ai pas été car je ne sais pas comment j’aurais pu rejoindre Nar Yan Mar de là-bas. Le village est à 220 kilomètres. Pas de route, aucune chance de trouver un camion pour me remonter et même pas la peine de compter sur un Bourane. Slavic m’explique que le village est très pauvre et que je trouverai pas de Bourane en assez bon état pour parcourir une telle distance.
Comme tant d’autres villages depuis la Pérestroïka, Okunovo Nos est tombé dans le marasme. Des économies entières tenaient uniquement par le système d’état. Elles se sont effondrées en même temps que l’Union soviétique. Le village est ainsi passé de 1200 à 500 habitants.
On comprend à quel point la vie de ces éleveurs est fragile. La moindre modification de leur environnement rend non seulement leur travail plus pénible mais diminue également leurs ressources déjà extrêmement précaires.