J27 – Enquête à la station météo

mardi 19 février 2008

Dernière journée à Nar Yan Mar avant de retourner dans la toundra demain. J’en profite pour faire un saut à la station météo. J’adore les stations météo.

J’ai passé de tellement nombreuses semaines dans la sation de Golomiany, en plein océan Arctique (vers 79° Nord. Regardez sur une carte. C’est haut !). J’y avais de vrais amis et même comme un petit frère, Sasha, le fils de Tolic le mécanicien de la base. Nous jouions ensemble au foot dans la neige, il m’invitait à venir dormir dans sa chambre dès que j’arrivais… Trève de nostalgie, je vais finir par vous raser. Juste une petite chose, tout de même à propos de Golomiany : vous pourrez voir des photos de la station dans l’exposition « Terre des Pôles » que le Sénat présentera sur les grilles du jardin du Luxembourg en octobre 2008.

Donc. Retour à Nar Yan Mar. Comme dans toutes les stations météo dans le Grand Nord, les bâtiments ne sont pas très vaillants et le personnel a considérablement été réduit depuis la Perestroïka. La météo avait une grande importance du temps de l’Union soviétique. Comme d’autres métiers qui étaient présentés comme héroïques : par exemple les géologues.

Depuis lors, les crédits ont fondus, les salaires pas augmentés ou si peu par rapport à ce qu’il est possible de trouver dans le privé. Moins de postes à pourvoir, des ingénieurs météorologues qui désertent, attirés par les roubles du privé… A Nar Yan Mar, les effectifs sont tombés de vingt à quatre personnes ! Encore la station est-elle toujours ouverte…

Ludmila Durkina est océanologue de formation. Elle travaille à la station de Nar Yan Mar depuis quarante ans. Depuis qu’elle a fini l’université en 1968. Quarante années à réaliser des mesures et à noter ses observations : température, composition chimique, niveau de l’eau de la Pechora (le fleuve qui traverse Nar Yan Mar et qui se jette plus au nord dans la mer de Barents en face de la tristement célèbre île de Nouvelle Zemble où le pouvoir soviétique (et il ne fût pas le seul, pas de diabolisation hâtive) a mené tant d’essais nucléaires. Ludmila a également observé et noté patiemment les dates d’embâcle (lorsque la mer ou les fleuves gèlent, à l’automne) et de débâcle (lorsque la mer ou les fleuves dégèlent au printemps).

Ludmila me sort ses registres. Étonnants volumes reliés ne payant pas de mine mais recelant tant de trésors d’information. Tout est là, soigneusement noté à la main. Les courbes et les graphiques dessinés sur du papier millimétrique. Et cela sur des dizaines et des dizaines d’années. Tous ne sont pas là, disponibles en cinq minutes ; il faudrait aller chercher dans les archives. Mais Ludmila me trouve tout de même des registres vieux de trente-cinq ans : 1973 et 1974.

Et je peux observer ce que Ludmila me disait à propos des dates un quart d’heure plus tôt : depuis 2006 la glace n’arrive qu’en décembre alors que traditionnellement la glace arrivait déjà au mois d’octobre.

Les stations sont de moins en moins nombreuses dans le Grand Nord. De mémoire, il me semble qu’il en existait une soixantaine à l’époque soviétique. Je dirais une quinzaine aujourd’hui (je vérifierai les chiffres). Certaines ont été fermées du jour au lendemain. Je me souviens d’avoir un jour visité une station où tout était resté en suspens ; sans doute un hélico était-il arrivé et avait embarqué les gars de la station. Et pourtant, le travail méthodique de tous ces ingénieurs météorologues est fantastique. Il représente une formidable mémoire, une accumulation de constats, d’observations, de présence sur le terrain.

Alors oui, aujourd’hui, le réalisme économique veut que l’on remplace une base météorologique par une station automatique. Les données sont envoyées, certes. Mais je ne peux m’empécher de croire qu’en tout cas, nous perdons beaucoup en observations visuelles, en sens du terrain, en ressenti… Toutes choses certes que l’on ne sait pas intégrer dans les calculs scientifiques mais qui, c’est évident, forme une mémoire, une connaissance irremplaçable.

Cette approche moderne et économique manque aussi, à mon goût, de romantisme. Beaucoup. Et que l’on ne me fasse pas croire que nous pouvons nous passer de rêve et de romantisme, de savoir que des hommes et des femmes, jour après jour, année après année, regardent et écoutent la terre, le ciel et la mer.

Kraï de Krasnoïarsk, Russie, 648581

Moscou, Russie

Russie

Naryan-Mar, Nénétsie, Russie

Salekhard, Iamalie, Russie

Yar-Sale, Iamalie, Russie

Khatanga, Kraï de Krasnoïarsk, Russie

Russie, 647471

Norilsk, Kraï de Krasnoïarsk, Russie

Observatoire Photographique des Pôles

Observatoire Photographique des Pôles

Suivez-nous