J’aurais en fait pu partir pour un village de pêcheurs plus tôt mais je voulais absolument attendre de pouvoir rencontrer Florian Stammler de l’Université Lapin Yliopisto et Viktor Geyorgevitch Schtro, directeur de l’Institut d’étude de la faune et la flore du Yamal. L’un était encore en Finlande et l’autre était dans la toundra…
Florian Stammler travaille sur les populations Nenets de la péninsule de Yamal depuis près de quinze ans maintenant. Viktor, quant à lui, est né dans la région, dans le minuscule village de pêcheurs de Puyeko.
Comme les rencontres sont simples ici. Hier nous avons tout simplement été chercher Florian à l’aéroport avec Ludmila, chargée de recherche au musée de Salekhard. Une demi-heure plus tard nous sommes tous dans ma chambre où vient nous rejoindre Olga Moshkhalo présidente de RAIPON, une importante association de peuples du Nord. Puis, dans la nuit, longue discussion avec Florian sur le Yamal dont je vous ferai part jour après jour.
Changement de décor pour aller voir Viktor, qui ne travaille pas à Salekhard mais dans la petite ville de Lubytnagyi à une quinzaine de kilomètres vers le nord. Route magnifique, nous passons devant l’aéroport, ultra-moderne. La surprise, une fois de plus, de voir une immense affiche annonçant : « Cela sera notre ville ! » La vue d’artiste montre une ville qui me fait penser aux projets de développement de villes comme Miami. Un peu surréaliste.
Nous passons une fois de plus le Cercle Polaire Arctique qui croise la route qui va de Salekhard à l’aéroport. Je ne l’avais jamais passé autant de fois en si peu de temps !
Pour rejoindre Lubytnagyi nous devons aussi traverser l’Ob. Pas de pont, le projet traîne depuis des années, dix ans peut-être. Ce qui ne gêne pas grand monde en hiver car il suffit de prendre la route de glace qui la traverse. Deux kilomètres. Deux bandes magnifiquement tracées, larges chacune d’une centaine de mètres. Quelques recommandations : vingt kilomètres heure maximum, respecter une distance suffisante entre deux voitures et pas de camion de plus de vingt tonnes.
La route sera ouverte jusqu’en mai. Les autorités la fermeront avant que la glace ne puisse plus supporter le poids des voitures. En fait, c’est l’eau venant du sud et qui va peu à peu submerger la glace qui empêchera en premier les automobilistes de passer d’une rive à l’autre. En été, les voitures franchissent l’Ob sur un bac.
A Lubytnagyi, nous ne sommes qu’à quelques kilomètres de Salekhard. J’ai pourtant l’impression d’avoir changé de région. Je retrouve le Nord auquel je suis habitué. Romantique, déglingué… de vieilles maisons en bois, des tuyaux de chauffages crevés, des conteneurs un peu partout, des carcasses de voitures emprisonnées par la neige. Dans quelques années, le visage de Lubytnagyi n’aura plus rien à voir : un programme de modernisation est en cours. Ces vieilles maisons de bois n’en n’ont plus que pour quelques années.
Ma vision du Nord, je le sais, a quelque chose de ridicule. Ce à quoi aspire la majorité des habitants de la région est plus de confort, plus de travail et de meilleurs salaires. Ils seront peu à regretter leurs vieilles maisons parfois chancelantes et s’installeront avec joie dans de petits immeubles flambant neufs.
D’autre part, si l’on peut trouver une certaine gueule à ces petits villages en hiver, la situation n’est pas la même en été quand la neige a disparu et laisse apparaître des monceaux d’ordures ou des centaines d’objets divers abandonnés au cours de l’hiver et des années.
Mais malgré tout, égoïstement, je l’avoue, c’est bien dans cette ambiance que je me sens le mieux…
Conversation passionnante avec Viktor Geyorgevitch Schtro que je vous raconterai demain… Il est tard et j’ai encore pas mal de boulot avec Pasha pour organiser les prochaines étapes du voyage. Je dois, dans la deuxième quinzaine d’avril, rejoindre une brigade Dolgane très au Nord, vers 74 degrés Nord. A priori en hélicoptère. Huit heures de vol. Environ vingt mille dollars ! Que je suis loin d’avoir…