Je dois aussi avouer un bon gros coup de fatigue. Un très très gros coup de fatigue. Le doute qui s’installe, tout se met à patiner, on ne sait plus où aller. Il faut parfois savoir faire une pause pour pouvoir repartir. Trois mois que je voyage à travers la Russie. Trois mois loin de la maison, des enfants mais surtout trois mois que je suis (ou que je me sens, les deux en fait) vu comme quelqu’un à qui soutirer de l’argent. C’est absolument épuisant de manière générale et encore plus compte tenu de la justesse de mon budget.
Je vais donc profiter de Novorybnoye pour me reposer un peu. Ça n’a rien d’un paysage de vacances mais les gens chez qui je suis sont adorables et je me sens bien chez eux. C’est important, parfois, d’avoir un « petit chez soi ».
Je me suis aussi et surtout rendu compte que Novorybnoye est le bon endroit pour illustrer l’état de délabrement dans lequel se trouve l’Arctique dans ce coin de Taïmyr.
Quelle peinture vous faire du village ? Il faut d’abord comprendre l’isolement dans lequel se trouve Novorybnoye (comme les autres villages qui de la région d’ailleurs, ou Khatanga où je me trouvais il y a quelques jours).
Le village se trouve à 72° Nord et 50′. C’est-à-dire près de sept cents kilomètres au nord du Cercle polaire Arctique. Nous ne sommes plus qu’à deux mille kilomètres du Pôle Nord géographique. Pas une seule route ne relie cette partie du Taïmyr au reste du monde. Les habitants de la région disent qu’ils vont « sur le continent » lorsqu’ils descendent dans le sud. Le seul moyen de transport c’est l’avion, toujours plus cher. Jusqu’à Khatanga. Puis des routes d’hiver sur la glace, en bourane, en camion, en aéroglisseur, en vizdirod, cet énorme sorte de char à chenilles. En été, le bateau uniquement.
Pour vous donner une idée de la difficulté des choses… Aujourd’hui je voulais acheter de l’essence. Impossible ! Ce n’est pas une question d’argent mais de disponibilité. Misha, chez qui je loge, m’assure que personne ne voudra m’en vendre. Tout le monde profite de la bonne qualité de la neige pour déposer de l’essence dans la toundra en prévision de la pêche pendant l’été prochain.
Les conséquence économiques sont lourdes. Le prix du poisson ou de la viande est dérisoire, environ six fois plus faible que dans le Yamal : 18 roubles le kilo de poisson (soit 50 centimes d’euro) et 25 roubles le kilo de renne (70 centimes d’euro). De l’autre côté, conséquence inverse du coût du transport, les produits dans les magasins sont très chers. A cela s’ajoute une complète désorganisation des structures économiques. Ici pas de sovkhoze mais seulement des sortes de coopératives dans chaque village qui vivent indépendamment les unes des autres.
Résultat : Misha estime que sur les 800 habitants que compte Novorybnoye au moins 200 ne travaillent pas ! Beaucoup de jeunes. Je vous laisse imaginer leur quotidien, la longueur de leur journée, la lourdeur de leurs paupières, l’odeur de leur haleine… Ça ne marche pas toujours droit dans les rues enneigées du village.
A mesure que je vous écris le ciel se couvre. Le thermomètre ne cesse de remonter. 11° ce matin (—11° bien sûr), 8 maintenant. Ça sent la fin de l’anticyclone qui recouvrait la région depuis mon arrivée.
Je reprends ce texte quelques quatre heures plus tard. Il neigeote sur le village… C’est une autre ambiance. Qui me convient mieux.